L’Échange raconte une histoire simple qui se déroule sur une seule journée : sur un coin de terre, quatre personnages s’affrontent. Dans cet affrontement, chacun devient le combustible de l’autre, celui qui le révèle à lui-même. Quatre facettes d’un seul et même être traversé de désirs contradictoires, miroir de notre intimité, de celle du public sans cesse pris à témoin.
Par la simplicité de l’action et des situations centrées autour de deux couples, Claudel parvient à ancrer le tragique dans le quotidien, le symbolique dans le concret, créant ainsi une étonnante proximité humaine entre ses personnages et nous-mêmes. Les confrontations successives des personnages entre eux préservent des parts d’ombre, une certaine opacité et une complexité qui est à l’image de la vie même.
À la simplicité de l’histoire s’ajoute la simplicité des questions que Claudel semble poser sans jamais y apporter de réponses univoques : à quoi faut-il renoncer pour aimer, quels deuils faut-il faire pour grandir, l’amour et la liberté sont-ils compatibles, quelle part d’engagement est nécessaire, la liberté absolue peut-elle être autre chose qu’un rêve ? La question religieuse et strictement chrétienne s’efface pour céder la place à une interrogation plus vaste sur le désir et sur le caractère illusoire des alternatives trop simples : la maman ou la putain, la liberté ou l’engagement, la jeunesse ou la responsabilité, l’argent ou l’amour, le matérialisme ou l’idéalisme.
Cette complexe simplicité est alliée à une grande hétérogénéité de ton et de langue, trop souvent oubliée lorsque l’on pense à Claudel et à son verset. Ce caractère composite, très présent dans la seconde version, nous invite à une très grande liberté scénique, une liberté qui puisse emprunter aussi bien au cinéma qu’à Racine, Brecht ou Tennessee Williams. Il nous pousse également à chercher l’articulation la plus juste entre abstraction symbolique, théâtralité affichée et naturalisme cinématographique (lié à l’imaginaire du rêve américain) – articulation qui n’est pas sans rappeler, à certains égards, les questions que nous nous sommes posées avec Beckett.
Il faudrait pouvoir réentendre la violence et la cruauté du texte claudélien, mais aussi son humour et sa sensualité. Les multiples ambivalences et la complexité cachée sous l’apparente simplicité de l’histoire font de L’Échange une magnifique matière pour la scène.
Bernard Levy / Jean-Luc Vincent